La Brève qui mène une double vie

Les dessous des Brèves de Verbatim #3

Un mot mal orthographié, sans aller jusqu’à semer le chaos dans la phrase, peut être ressenti par le lecteur comme un léger cahot sur le chemin qui mène à sa bonne compréhension.

Cette phrase résonne comme un écho ? Vous avez raison. Les mots chaos « désordre » et cahot « secousse » ont des sens différents, des graphies différentes (on dit qu’ils sont hétérographes) mais se prononcent de la même manière. Ce phénomène, qui porte le nom d’homophonie est une source de confusion intarissable, et par conséquent, l’un de nos meilleurs fournisseurs de Brèves de Verbatim !

Pourquoi l’homophonie est-elle si répandue en français ?

Bien sûr, une première série de facteurs relève de notre système phonologique. Celui-ci compte 36 phonèmes qui, combinés les uns aux autres, forment les milliers de mots de notre langue. Qui plus est, de nombreux mots sont composés d’une seule syllabe, ce qui réduit le nombre de combinaisons possibles. Ajoutons encore que contrairement à d’autres langues comme l’anglais, le français n’a pas d’accent de mot (intonation sur une syllabe) qui lui permettrait de lever l’ambiguïté.

Deuxièmement, les aléas de l’évolution phonétique font que des mots différents au départ ont aujourd’hui la même prononciation. Citons par exemple l’étymologie des mots date et datte – que vous retrouverez d’ailleurs dans une des Brèves de Verbatim ci-dessous – fournie par le TLFi (Trésor de la Langue Française informatisé). Le premier serait issu du latin data et le second du latin dactylus qui signifie « doigt » en référence à la forme du fruit.

Troisièmement, la variété graphique de certains homophones s’explique par le fort décalage entre oral et écrit, évoqué dans le premier épisode de notre série.

Et pour pimenter un peu la sauce, l’homophonie ne se borne pas aux frontières du mot : des séquences (voire des phrases) peuvent être homophones.

L’homophonie, du terrain miné au terrain de jeux langagiers

Complexe, l’homophonie se fonde donc sur les relations qu’entretiennent graphie, phonie et sémantique. Fréquente, elle est une des principales figures de style à l’œuvre dans les jeux de mots. Les exemples ne manquent pas : si vous n’avez pas lu la une du Canard enchaîné du 29/01/2020 (Peut-on encore rire de toux ?), peut-être vous rappelez-vous quelle est la seule marque de moutarde qui m’aille ? Ou bien cette émission de télévision, Surprise sur prise ? Ou encore les deux bouts d’un boudin de Raymond Devos ?

Dans ces trois derniers exemples, la présence des deux séquences homophones nous permet de déchiffrer le calembour sans trop d’effort. La répétition suffit à amuser. Dans le titre de presse, toux se substitue à tout. Le lecteur doit faire appel à sa compétence linguistique et à sa connaissance de l’actualité pour obtenir la clé de cet énoncé ambigu.

Tous les quatre exploitent l’homophonie volontairement pour attirer l’attention du public, ou pour nous faire rire.

Dans nos Brèves de Verbatim, un homophone remplace involontairement la forme due, fruit d’une mauvaise maîtrise de l’orthographe. En tant que lecteur des verbatim, nous ne le savons que trop bien et il nous est aisé de déduire le terme manquant uniquement à l’aide du contexte. Nous savons également que l’auteur n’y a pas caché un second sens. Et pourtant, les mêmes mécanismes se déclenchent pour décoder un calembour ou imaginer une deuxième interprétation à ces énoncés fautifs. C’est la coexistence de ces deux sens, différents et incompatibles, qui fait naître l’amusement.

Homophonie et éléments de substitution

L’utilisation accidentelle d’une paire d’homophones rend la phrase plus ou moins amusante (et plus ou moins compréhensible) selon la nature grammaticale des éléments de la substitution :

  • Un premier type de substitution implique deux mots appartenant à la même partie du discours (un nom remplace un nom). Cette correspondance syntaxique facilite l’accès à une autre interprétation :

« À l’accueil, il y avait 5 personnes qui se tournaient les pousses et qui nous ont un peu ignoré… »

« Je n’ai aucune raiponce concernant ma commande. »

« Il serait de bon thon d’écouter davantage vos clients. »

« Je voudrais changer mes dattes de prélèvement, est-ce possible ? »

« On m’a dit que j’étais en thor alors que ma voiture était arrêtée. »

  • Un second type de Brèves a moins de chance au tirage, puisque le remplaçant appartient à une autre catégorie grammaticale que le mot cible, ce qui complique un peu la lecture :

« J’ai pas trop attendu dans le sale d’attente »

« Je dois dire que je père beaucoup de sous ! »

« Il faudrait améliorer votre voie d’axé. »

« Je pêne à trouver la réponse à ma question. »

  • Enfin, un dernier type de substitution met en jeu un mot et une séquence de mots. Selon les cas, la structure grammaticale reste correcte :

« J’ai déjà donné une réponse au paravent ! »

« J’ai eu de mauvais retours sur votre produit, tout le monde sent plein »

… ou subit quelques turbulences :

« Bonjour, je cherche des sachets opaques avec fermeture zip sans soudure à défunt alimentaire !»

« Il aurait pu nous aider mais il a fait sans blanc de ne pas entendre notre conversation. »

« À par amant, vous avez perdu mon dossier… »

La paronymie, c’est caïman pareil !

Voisine de l’homophonie, la paronymie relie des mots ou séquences de sens différents mais de sonorités proches. À l’instar de l’homophonie, la paronymie est un des principaux ressorts des calembours phoniques. Aux exemples suivants peuvent s’ajouter la plupart de ceux présentés dans l’épisode 2 de notre série.

  • Relation de paronymie entre deux mots

« Ce conseiller est incompressible »

« J’ai eu une electrocutrice très sympa »

« Je suis enterrement satisfait »

« Bonjour, pouvez-vous me dire si vous faites la prime à la conversation ? »

  • Relation de paronymie entre un mot et une séquence de mots :

« Je voudrais savoir s’il est possible dette remboursée »

« J’ai pu rendre mon véhicule inextremiste 3 minutes avant la fermeture. »

Chaque jour nos experts linguistes ont maille à partir avec les variations graphiques. La technologie d’ERDIL prend en compte les phénomènes d’homophonie, de paronymie, et toute autre variation graphique dans l’interprétation du sens des phrases. Cela nous permet de catégoriser correctement des verbatim qui n’ont aucun sens pour d’autres systèmes d’analyse sémantique automatique. Finalement, oubliez ce que j’ai écrit au début. Lu par un œil artificiel, un mot mal orthographié peut semer le chaos dans la phrase et mettre la machine K.-O (mais pas la nôtre) !

Cet article est le troisième épisode de la série « Les dessous des Brèves de Verbatim », créée et rédigée par Aurore. Retrouvez l’épisode précédent ici :  La Brève qu’on touche des doigts et le suivant par ici : La Brève qui mise tout sur le lexique

Auteur
Portrait collaborateur Aurore (Illustration)

Aurore